D’autres vies que la mienne
A quelques mois d’intervalle, la vie m’a rendu témoin de deux événements qui me font le plus peur au monde : la mort d’un enfant pour ses parents, celle d’une jeune femme pour ses enfants et son mari.
C’est ainsi que je me suis retrouvé à raconter l’amitié entre un homme et une femme, tous deux rescapés d’un cancer, tous deux boiteux et tous deux juges, qui s’occupaient d’affaires de surendettement au tribunal d’instance de Vienne.
Il est question ici de vie et de mort, de maladie, d’extrême pauvreté, de justice et surtout d’amour. Tout y est vrai.
D’après Emmanuel Carrère
Mis en scène par Tatiana Werner
Avec : David Nathanson
Lumières & Vidéo : Mathieu Courtaillier
L’adaptation de David Nathanson et Tatiana Werner est brillante, respectant le texte avec soin. Dans un décor épuré, voilà ces autres vies qui s’offrent à nous, qui nous bouleversent et nous libèrent. On en ressort avec une énergie nouvelle.
David Nathanson, seul en scène, incarne tous ces personnages avec un belle vivacité, sur un plateau nu, où il y a juste un canapé et un pupitre. On ne décroche pas une seconde…
David Nathanson, que j’avais déjà beaucoup aimé dans Le Nazi et le Barbier adapte ici le magnifique récit d’Emmanuel Carrère. Un très beau spectacle et un très grand texte…
D’autres vies que la mienne est une pièce forte où l’hystérie n’a pas sa place. Magnifique galerie de personnages, Emmanuel Carrère par son texte et David Nathanson par son jeu parviennent à saisir la force et la beauté des hommes dans la banalité du quotidien lorsqu’un drame qui les dépasse vient à bousculer leur existence.
Comment ne pas tomber dans le pathétique ? David Nathanson y arrive formidablement bien. C’est d’une telle sobriété, c’est d’une telle justesse qu’il nous entraîne dès la première seconde dans ce récit qui sont d’autres vies que la mienne mais qui pourraient être la mienne. Et c’est cela qui nous touche le plus. J’en avais le coeur au bord des yeux, c’est vraiment un très très grand moment d’émotion.
Un comédien brillant dans une magnifique mise en scène de Tatiana Werner.
David Nathanson se déplace ou s’asseoit comme mu par une émotion secrète. Sa voix est forte mais se pose sur le silence, comme sur une arche sous laquelle se tient tout ce qu’il est inutile de dire, tant la charge sensible est lourde et immense. Nathanson joue en messager pudique et pourtant direct. Il n’exprime pas ouvertement l’horreur de la mort ni la beauté de l’amour entourant ceux qui vont mourir. Mais il les suggère dans une interprétation ni pathétique ni distanciée, qui est une sorte d’appel secret à être davantage humain. Avec lui, la littérature prend une résonance qu’elle n’a pas dans la lecture, aux couleurs très singulières dans ce moment théâtral saisissant autant par sa beauté épurée que par les faits tragiques dont il parle.